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On n'a pas d'idées mais on trouve du "Bitroul".
Après les avanies subies lors de mes vacances militaires, je retournais chez mon employeur afin de récupérer mon boulot. Fatalitas ! (encore) Qui dit défense nationale, dit bureau militaire et que font les militaires dans un bureau militaire ? Ils se racontent des histoires de militaires, histoires où, dans au moins une, j'étais intimement mêlé. Il apparût que pendant mon absence n’ayant trouvé personne apte à me remplacer (c’est de l’humour militaire) mon poste avait été supprimé (sic) et que n’ayant pas d’autre poste à pourvoir en adéquation avec mon profil, ils ne pouvaient me reprendre ; mais que je me rassure, ils ne manqueraient pas de me prévenir au cas où un poste serait créé. D’un côté il était rassurant de constater que mon ex-poste nécessitait des compétences si particulières qu’aucun des trois mille employés de la boîte ne fût en mesure de postuler et d’un autre côté, je crois bien qu’ils se foutaient carrément de ma poire. Il est fort probable que ma participation, avant de partir à l’armée, à un mouvement de grève n’ait pas joué en ma faveur. Je n’étais affilié à aucun syndicat et j’y étais allé parce que le gars de la CGT était un pote…et puis comme on était que deux à défiler pour représenter tous les labos, ceci explique peut-être cela !
Je mis un mois, montre en main, pour trouver un nouveau job. C’était peut-être bien enfin l’aventure. Travailler partout dans le monde dans des coins reculés avec un salaire de base multiplié par un facteur selon les conditions de climatiques. Et là au Sahara, c’était de 2.45 à 3. Je retournais voir mes ex-collègues puisqu’il me semblait qu’ils s’étaient inquiétés pour moi et leur apportais la bonne nouvelle. En fait, je crus discerner un rictus chez certains et même un nez tordu chez d’autres car j’étais le benjamin et à vingt-deux ans j’allais gagner plus que des gars qui avaient trente ans de boîte. Comme quoi l’humain préfère s’apitoyer sur le malheur des autres et à condition de ne pas être concerné, plutôt que se réjouir d’une bonne fortune s’ils n’y sont pas associés.
Débarquement de la Caravelle à Alger la blanche…heu…c’est la nuit, il fait chaud et moite et un gars m’emmène dans un hôtel rue Michelet. « Attention moi je dis ça parce que je suis pied-noir mais maintenant c’est la rue Didouche Mourad » Pour moi ça ne faisait pas de différence mais apparemment pour les autochtones c’était très sensible car il y avait un avant et un après l’indépendance (qui était encore fraîche).
Je m’en aperçus plus tard un jour que je conduisais une 4L de la boîte, j’accompagnais un vieux prospecteur à l’avion et cette fameuse rue Michelet était embouteillée. Ainsi que la majorité des embouteillés je klaxonnais.
Eux faisaient « Pouet-pouet»
et moi « tin, tin, tin – tin, tin ... tin, tin, tin – tin, tin.»
« Arrête ! » me gueule l’ancêtre, je le regarde bourré d’incompréhension, il est tassé sur son siège, la tête à ras du bas de la vitre et on le dirait en train de prier.
« T’es pas con de klaxonner ça ! » ???
« Mais c’est 'Algérie française'...'Algérie française', tu veux vraiment nous faire massacrer ? »
et effectivement, regardant autour de moi, je vis que mes voisins d’embouteillage me jetaient des regards sombres, ce qui coule de source pour un Nord-Africain. J’agitais la main en signe de je ne sais quoi et l’incident en resta là.
J’eus malgré tout un vrai topo sur les nouveaux us & coutumes en pratique ici. J’appris à vérifier les roues de ma voiture avant de démarrer, en effet il n’était pas rare qu’un père de famille ayant un enfant fraîchement décédé, vienne incidemment caler le corps de l’enfantelet sous un pneu arrière. Il ne lui restait plus qu’à attendre le retour de l’heureux propriétaire du véhicule, à hurler à la mort une fois le moteur en marche, et d’ameuter la gente alentour ce qui n’est pas très difficile dans les pays arabes. Pour lors la police intervenait avant le lynchage du pauvre conducteur, ce qui n’était pas le but de la manœuvre puisque le père éploré en profitait pour demander réparation, avec en bruit de fond le « you-you » des femmes.
Pour une fille cela paraissait raisonnable mais pour un garçon, c’était la ruine assurée.
Ah une autre fois, bien plus tard, nous étions en train d’installer le camp principal dans la région de Ouargla. Je m’occupais de la pose de l’antenne radio et pour qu’un éventuel prospecteur pris de boisson ne vienne s’entraver dans les câbles d’amarrage, je disposais des flagins (bandes souples en plastique comme celles rouges et blanches pour marquer des travaux). Avec mon sens artistique, j’utilisais les couleurs à ma disposition. Je n’avais pas terminé depuis deux minutes que le chef de camp était là à me demander si j’étais con ou pas (décidément c’est une manie chez eux). En fait j’avais employé du bleu, du blanc et du rouge et le chef des manœuvres, membre du FLN, avait porté le pet.
Mais tout ça c’était après et pour l’instant, j’étais à Alger et je devais y rester quatre mois. Le salaire y était moins important mais nous avions une indemnité journalière qui couvrait les frais d’hébergement et de nourriture. J’étais analyseur, ce qui consiste à traiter les bandes magnétiques envoyées par le terrain pour fournir un beau profil du sous-sol. Il y avait jusqu’à quatre missions sur le terrain et on travaillait en trois huit pour répondre à la demande. Ce rythme a quelques avantages. Quand j’étais de nuit, je retrouvais des copains à six heures du matin pour aller plonger (en Algérie on est à l’heure solaire), quand j’étais d’après-midi il restait la nuit pour ….boire des coups avec les potes. Il faut dire que côté femmes c’était plus que frugal. Pas question de sortir avec une Algérienne, dans la rue en moins de dix minutes, un flic intervenait pour lui demander ses papiers, la photographier et la ramener chez ses parents. Pas question d’aller à l’hôtel avec une femme européenne si l’on n’était pas marié ; quant à s’arrêter au bord d’un chemin et pratiquer dans la voiture…à peine le moteur stoppé, il sortait d’on ne sait où un, deux puis cinq puis dix arbis qui s’agglutinaient autour du véhicule. Ce qui casse franchement l’ambiance.
Restait le bordel de Maison Carrée dont deux pensionnaires fréquentaient assidument le bar le Byblos de la rue Michelet. Je n’étais pas plus chaste qu’un autre mais après examen de ces deux représentantes de l’établissement je préférais en rester là.
Il y avait bien la femme d’un « observer senior», lui ne rentrait pratiquement jamais de mission et elle, vivait en toute indépendance. Elle s’appelait Geneviève et était convoitée par tout le personnel de la base, hommes mariés et célibataires compris. Un soir, pendant un orage à ne pas mettre un canard dehors, je me propose pour la raccompagner chez elle car il tombait des cordes et des hallebardes. Je roulais au pas, la vieille 2CV du copain fuyait comme une passoire, et nous fîmes connaissance protégés par les éléments déchaînés.
Le lendemain, j’étais du poste 6h-14h. L'après-midi, j’emprunte à nouveau la 2CV et nous partons en balade. La route de Blida nous faisait passer devant les bureaux de la boîte, mais en plein après-midi le risque semblait minime. Ah ouiche ! Pile avant de dépasser l’entrée des bureaux, traverse devant nous tout le staff qui s’en allait écluser une bière au bistrot d’en face. Toutes les têtes se tournent vers la deu-deuch bien connue et on est pris les doigts dans le pot de confiture.
Bast ! Dame, tant pis !
Je venais de signer mon arrêt de mort.
En deux semaines j’avais grillé tous les mecs qui tentaient leur chance depuis des mois, voire des années. Une cabale est entreprise pour me licencier mais ça, je ne le sais pas encore. Heureusement il y a un ange qui veille sur moi, il s’appelle Robert, c’est mon chef, sa très belle femme japonaise vit au Japon. C’est une relation difficile et compliquée mais il est fidèle. Je m’entends bien avec lui, on boit des coups, beaucoup de coups, je n’ai pas encore sa cadence. J’apprendrais ultérieurement que c’est lui qui s’opposât à mon renvoi, proposant de m’expédier sur le terrain comme alternative. Ce qui, depuis mon engagement, était mon désir le plus cher.
Je passe sur les difficultés que nous eûmes avec Geneviève pour nous retrouver régulièrement. Disons simplement qu’il fallait qu’elle soit de très bonne volonté pour escalader les grilles de mon hôtel, arriver tard (après le verrouillage de la porte par le gardien) et partir tôt (avant le déverrouillage de la porte par le même gardien).
Finalement les « chefs » acceptèrent l'option Robert et au bout de quelques semaines, je filais vers le sud.
Robert est mort dans l’avion qui l’emmenait voir sa femme au Japon sept ans après, j’appris par hasard le décès de Geneviève des suites d’un cancer dix ans plus tard.
J’arrivais dans la mission après deux jours de camion, pile à l’heure du repas et tout le monde était là car le terrain en exploration se situait à proximité du camp dit principal. Tout le monde était là et m’attendait avec curiosité puisque ma réputation m’avait précédé. Je devais avoir l’air d’un bébé phoque entouré de lions de mer.
Mais avant de poursuivre, je me dois de donner quelques explications sur le fonctionnement d’un chantier de prospection et la méthode employée ce qui facilitera certainement la bonne compréhension de la suite.Le principe est très simple. On provoque une onde de choc à la surface du sol et on « écoute » ce qui se passe à une certaine distance. L’onde de choc se déplace vers les profondeurs, si une couche géologique est assez dure elle renvoi une partie des ondes vers la surface, ondes qui sont captées par un sismomètre (truc qui recueille les vibrations et les transforme en signal électrique) On voit tout de suite que si les couches géologiques sont plus ou moins perméables aux ondes vibratoires, elles vont retourner plus ou moins d’énergie vers la surface et qu’à la finale, si l’on a suffisamment de sismomètres on aura une coupe du sous-sol. De plus, si on déplace le générateur d’onde de choc et les sismomètres on aura une vue continue de ce qui se passe sous nos pieds. Bon ! Y’a du bruit au niveau du sol (le gars qui marche, le vent, la pluie), ça perturbe le signal. Pour une même réflexion le signal est réparti sur plusieurs sismomètres qui ont des coordonnées géographiques différentes et ça demande des corrections. Il y a aussi un traitement du signal assez élaboré et qui se fait soit sur site, soit en différé.Pour générer l’onde de choc il y a plusieurs méthodes : la dynamite, la chute de poids, le vibreur et la bonbonne de gaz.
- La dynamite c’est le plus long à mettre en œuvre mais c’est parfois la seule solution (terrain trop mou ou inondé)
- La chute de poids c’est un poids de trois tonnes qui chute d’environ 4 mètres, commandé par radio.
- Le vibreur c’est une boîte fortement appliquée au sol qui est excitée par des vérins hydrauliques.
- La bonbonne de gaz c’est une boîte fortement appliquée au sol remplie d’un mélange air/propane que l’on fait détonner (le bon dosage du mélange est
essentiel pour que tout le bazar ne monte pas au ciel avec son opérateur).
Tout ce petit monde est monté sur poids-lourd avec des gros pneus pour passer partout. Chez nous, c’était la chute de poids.
La mission était composée de deux de ces camions, d’un camion labo (qui enregistre et traite les signaux), de cinq à six Dodges (moteur 4Litres) pour tout porter, d’une Gazelle (camion qui passe partout pour ceux qui ne connaissent pas) et d’un GLR pour le transport de l’eau vers le camp principal.
Deux groupes électrogènes 20KVA un pour le camp principal, un pour le camp secondaire.
Des guitounes pour le camp secondaire, traditionnelles pour l’encadrement, et style plat à tajine pour les locaux (à leur demande).
Une vache à eau de cinq mille litres et une de mille litres.
Pour le camp principal six trailers (remorques/roulottes) un pour le bureau, un pour la douche, un pour le bar/salle à manger, un pour dormir à huit, aménagé en placards individuels, un atelier mécanique et un atelier électronique.
En personnel il y avait le chef de mission qui souvent restait à Alger.
Un party-manager responsable de l’intendance du camp et des fois plus.
Un topographe qui va baliser le terrain pour montrer par où qu’on doit passer.
Un observer-senior responsable du labo et de la production (nombre de kilomètres explorés).
Un observer-junior assistant le senior et le remplaçant le cas échéant.
Deux à quatre mécaniciens selon le terrain (plus le terrain est dur plus on casse).
Un technical-alternate, technicien qui fait tout, qui remplace n'importe qui ou quoi, qui distribue les heures sup et tient le décompte des heures travaillées pour chaque manœuvre et chauffeur.
Tout le personnel d'encadrement est exclusivement européen.
Ensuite une soixantaine de manœuvres locaux avec un chef d’équipe expérimenté, une dizaine de chauffeurs dont deux qualifiés sur le camion-poids. Et l'indispensable, un chef cuisinier avec son aide, tous deux locaux mais de qualité. En camp secondaire nous avions le cuisinier chef, pour le peu de personnel restant au camp principal, l’aide suffisait.
Le décor étant planté, moi dernier arrivé je suis technical-alternate puisque le gars en charge part en détente et est muté sur une autre mission à son retour. Flûte j’ai oublié un truc : le rythme de travail est sept jours sur sept dimanches et fêtes pendant trois mois puis un voyage en France pour trois semaines et rebelote. C’est la théorie car il m’est arrivé de rester plus de quatre mois sans détente et là c’est long.
Tout le monde était là et m’attendait avec curiosité…je repars avec eux sur le terrain et là, magie des dunes, le seul bruit qu’on entend, tant que les camions ne circulent pas, c’est le vent dans les touffes d’alfa et le bruissement du sable qui roule au gré de la bise. Dans le sable il y a des centaines de traces d’animaux ; en fait c’est désert en apparence mais ça vit intensément.
Le profil terminé on prépare le camp secondaire car c’est une zone où les trailers ne pourront pas passer. Ben oui, on préfère l’aménagement du camp principal mais quand c’est pas possible on campe. Ce camp secondaire est installé à cinq heures de piste en plein milieu des dunes. Le topo nous a précédé et le prochain profil est déjà balisé sauf qu’il se trouve à deux heures du camp. Et de se demander « pourquoi y z’ont le camp aussi loin ces niais ? » Parce qu’il se trouve en plein milieu des différents profils à exploiter et qu’un déménagement de camp plus réinstallation ça demande une journée et qu’on est pas là pour rigoler, ce dont j’allais me rendre compte rapidement. Réveil à trois heures du mat on petit-déjeune rapidement, le cuistot prépare la glacière avec notre bouffe pour la journée, de l’eau et un carton de pinard (douze litres). On monte dans les camions et Yalla Yalla. C’est parti pour une séance de montagnes russes, mon chauffeur sent le rance, au passage du sommet de la dune des bouffées chaudes d’huile brûlée envahissent la cabine quand le camion pique du nez. Je m’endors et ma tête heurtant le montant de la portière me réveille en sursaut. Le chauffeur a un rictus comme pour s’excuser et nous arrivons sur site.
La bouffe, très important ! Vers neuf heures casse-croûte (chacun son tour) , vers une heure déjeuner (chacun son tour) mais tout est toujours froid. Omelette froide, steak cuit mais froid…c’est triste. Je décide d’améliorer le système et demande au cuistot de mettre des steaks non cuits. Il y suffisamment d’alpha et de bois divers pour faire un petit feu. Essai pas concluant car il y a en permanence un petit vent qui déplace des milliers de grains de sable, et pour craquer, ça craque... sous les dents. On boit, de l’eau et aussi du vin (13°) qui est bon, de façon raisonnée la journée mais le soir c’est une autre affaire.
Seules les missions françaises pouvaient emporter des boissons alcoolisées sur le terrain. Les autres, anglo-saxonnes pour la plupart , Anglais, Australiens, Américains c’était mission sèche la journée. Leur bar ouvrait à dix-sept heures (ils travaillaient comme dans un bureau) et à vingt heures tout le monde était bourré, ce qui n’est pas le « French life style ».
Le labo, c’est une caisse posée sur un châssis avec plein d’électronique dedans et la clim. La clim c’est pour les instruments, pas pour les hommes. Tout le cirque est animé par un moteur international de 6 Litres. Un gros alternateur Leece-Neuville fournit l’électricité pour tout ce petit monde. Moteur calé à quinze cents tours et c’est tout bon.
Toutes les douze secondes environ le poids chute, avance de dix mètres et ça recommence. Le labo déclenche la chute et reçoit un signal au moment où le poids atteint le sol, ce qui nous donne une synchro. Dans le labo l’enregistreur est constitué d’un gros tambour horizontal sur lequel prennent place quatre bandes magnétique de vingt-quatre pistes chacune. Une sert à une application particulière, deux servent au transfert des données la dernière collecte les données pré-traitées qui seront envoyées à l’analyseur. Les bandes font environ un mètre cinquante de long et leurs extrémités sont équipées d’un œillet permettant de les accrocher dans un évidement du tambour. Le tambour effectue une rotation en quatre ou six secondes, ce qui dépend de la dextérité de l’opérateur car on change les bandes à la volée lorsque la bande est pleine, toutes les huit chutes.
En fait on a trente-six secondes pour enlever la bande pleine, la mettre à son clou, prendre la bande neuve et l’accrocher ce qui nécessite un tour de tambour. Cela peut paraître beaucoup mais on a le droit qu’à un raté sinon on doit faire reculer le camion-poids de quatre-vingts mètres et ça perd du temps, de la production et le client n’est pas content. Dans les dunes les bons jours on « produit » 3.5Km voir 5Km les mauvais jours 1.5Km.
J’ai encore eu le pompon quand j’étais senior, un quatorze-juillet. Là on soigne le rapport avec un joli drapeau bleu-blanc-rouge dans l’entête et une blagounette pour les analyseurs. Trente minutes plus tard je ne reçois plus le camion-poids. Un chauffeur m’appelle « Li poids il est kaputt ». Effectivement arrivé sur place je vois le camion qui a dévalé une grande dune, sur le flanc, avec toute la bonne huile moteur, hydraulique et l’essence qui se déversent sur les batteries. Le poids de trois tonnes est à la ramasse, les câbles acier rompus et la structure en vrac. J’engueule un chauffeur parce qu’il n’a pas été basculer les coupe-batteries, j’engueule un manœuvre parce qu’il fume juste à côté de l’essence et j’organise le rapatriement du chauffeur poids un peu sonné, vers le camp principal où il sera transporté à l’hôpital (enfin si on peut appeler ça un hôpital).
Je suis furieux. Production cent mètres et j’ai l’air d’un vrai con avec mon rapport cocorico et vierge. Le temps de ramener le camion-poids de rechange, la journée est foutue et pour une fois on rentrera tôt au camp au lieu des 20 ou 21 heures habituellement.
Quand tout va bien on mange, on picole et on dort. Parfois, les flûtes, ces câbles de deux cents mètres de long, sont détériorées ou écrasées et il faut les refaire, c’est du boulot pour la veillée. On en a évidemment en réserve mais il faut bien maintenir le niveau de la réserve au cas où !
Une flûte est composée de douze paires de fil de cuivre souple, plus fin que du câble téléphonique et la réparation consiste à ôter la gaine sur vingt centimètres environ, de couper toutes les paires avec un décalage entre elles et de les ressouder en isolant chaque fil. Le but final étant d’avoir un câble réparé pas plus gros que la gaine d’origine. Cela demande de la patience et des doigts de fée. Nos journées font entre douze et dix-huit heures (selon le terrain et le temps) ce qui fait que l’on n’est pas payés aussi bien que ça. La force du truc c’est que les dépenses sont réduites à la portion congrue et au bout de trois mois, retour en France avec un bon pactole. Des gars « mettent de côté », d’autres (dont je suis) vont tout claquer en trois semaines avec leur dulcinée et reviennent à sec. Heureusement la vie de terrain est riche en évènements pour éviter le blues. Y’a eu des trucs drôles du genre le topo qui va relever et baliser un nouveau profil à proximité d’un chott (zone d’eau salée habituellement asséchée).
Il raconte : « J’envoie Jamel, le porte-mire, à deux-cents mètres devant moi et le visant à travers mon théodolite je lui fais signe avec la main de monter la mire, or il la descend, plus je lui fais signe de monter, plus il descend. Je me redresse pour l’engueuler et je ne vois plus qu’un demi Jamel avec un bout de mire. Ce con était en train de s’enfoncer dans la boue et restait stoïque accroché à sa mire comme le commandant du Titanic. On en a chiés pour le sortir. »
Un jour, arrive avec la liaison un jeune gars de CGG (Compagnie Générale de Géophysique) « Salut, moi c’est François et je suis boxeur ! » Qu’est-ce qu’il croit le gars ? Qu’il arrive à OK Corral ?. On passe à table et au cours du repas, le mec se raidit d’un coup sur sa chaise puis met ses deux index sous son œil gauche et tel un automate descend par saccades la tête jusque dans son assiette. C’était le jour du steak purée ça a amorti le choc. Nous, on reste un peu scotchés et puis on lance des Hé ! Ho ! Rien n’y fait ses voisins de table le secouent, macache ! « Merde, y va pas calancher à peine arrivé ! » s’insurge le chef de camp. Ben non, le François refait surface, se redresse nous regarde, hébété et essuie les restes de purée au jus sur sa tronche. On lui demande si la boxe « y’a pas de séquelles ? » Il nous assure que non mais que des fois il s’absente.
On aura encore l’occasion d’observer le phénomène avec mon ami La Fraise, à l'occasion d'une défécation commune (oui à deux c’est plus convivial) . Etant en train de pousser tout en devisant, nous vîmes « le boxeur », comme nous l’avion baptisé, se rendre dans sa cabine (devant chaque cabine se trouve un marchepied de quatre marches), il monte sur la première marche, met un pied sur la deuxième tend sa main vers la poignée, va pour la saisir mais sa main est comme repoussée par une force invisible. Et ça se répète trois fois dix fois. On voit bien que c’est dur car il force de tout son corps et nous on force avec lui. Enfin la poignée s’abaisse et il disparaît dans son antre.
Ses tics se produisaient n’importe quand dans la journée ce qui restreignait fortement sa fonctionnalité. Il était hors de question de le laisser conduire, sauf à le prendre au labo sous surveillance. Et là encore par moment, en plein changement des bandes magnétiques, il lâchait tout et piquait de la tête dans le tambour. Il est vrai que ça laissait des traces sur sa face de boxeur, mais surtout on perdait les bandes avec tout ce qu’il y avait dessus et fallait recommencer le boulot. Au bout de deux mois, après différentes tentatives d’emploi, on le renvoyait à Alger.
Je le rencontrais tout à fait par hasard à Paris au centre de prophylaxie où nous étions tenus de passer une visite médicale annuelle (j’y reviendrai) et François était toujours à la CGG et faisait de la gravimétrie. Comme ça se passait en avion, qu’il n’y avait pas de bande à changer et que ce n’était pas lui qui pilotait, tout allait bien.
Pendant qu’on y est, un petit mot sur le centre de prophylaxie. C’est plus ou moins dédié aux gens vivant ou travaillant dans des zones à risque sanitaire. En dehors des contrôles habituels il fallait déféquer dans un faitout en alu modèle réduit puis on emportait l’objet du délit au laboratoire. Le couvercle ne joignant par toujours très bien c’était comme chez soi quand la maîtresse de maison apporte la soupière sur la table, ça sent depuis la cuisine jusqu’à embaumer toute la pièce une fois les assiettes remplies. Alors nous avions une pensée émue pour ces laborantines toutes mignonettes, obligées d’aller farfouiller dans ces déchets peu ragoûtants.
Revenons à nos moutons.
Une autre fois arrive un mécano pied-noir. Nous étions logés dans des trailers à double couchette. J’hérite du gars. Ses premiers mots furent :" Bonjour, je m’appelle xxx. Qu’est-ce qu’il fait chaud ici, comment vous pouvez supporter ça ? » J’avais jamais vu un gars aussi blanc de teint pour un pied-noir. Le lendemain matin il est malade et enfin le troisième jour il attaque la mécanique. Le soir, au coucher il reste dehors pendant que je m’installe pour ne pas me gêner (!). Il se couche sans faire le moindre bruit et éteint sa loupiote immédiatement. Je me lève dans la nuit pour un pipi naturel et le gars est là, yeux grands ouverts, le drap remonté sur le menton. Je grimpe dans mon lit, lui demande si ça va, il me répond oui dans un souffle. J’en parle le lendemain au chef de camp et lui dis que ce gars n’est pas normal. Il sourit et me dit « Peut-être est-ce dû à ce qu’on lui a dit » ??? « On l’a briffé que t’étais un mec colérique et brutal, que t’avais tabassé ton précédent colocataire, lequel était mort pendant le transport vers l’infirmerie d’El Abioth. Et qu’on avait déclaré aux autorités que c’était un accident de camion pour pas t’énerver».
Tout rentra dans l’ordre au cours du dîner après explications et grosse rigolade. Il eut un comportement plus naturel avec moi mais restait toujours aussi blanc de teint. Après une semaine Il retournait à Alger ne supportant définitivement pas la chaleur du sud.
Remontant du camp vers El Abioth je trouve un nomade qui marche sur la piste. Je lui demande d’où il vient et où il va comme cela se pratique ici. Il me répond : « Je viens du borj Tahar et je vais au dispensaire d’El Abioth, je suis malade». Le type avait déjà parcouru trente kilomètres depuis le matin et il lui en restait quarante pour arriver. Je lui propose de monter, il hésite un brin l’air de dire « Est-ce que j’ai besoin de me faire transporter » la réponse devait être oui puisqu’il est monté.
Je parle d’El Abioth à plusieurs reprises, c'était un bled qui se situait au bout d'une piste qui conduisait à la pétrolière (la tôle ondulée) qui, elle-même rejoignait le goudron quelque part. Donc El Abioth c'était aux pieds de l'erg. A ce moment là il y avait peu d'habitants, un dispensaire tenu par des soeurs, une communauté de frères et un hôtel... enfin c'est le nom qu'ils donnaient à une bâtisse en torchis de plein pied avec quatre ou cinq chambres munies d'une ouverture rectangulaire simulant vaguement une fenêtre, un lit métallique de l'armée française, avec la couverture kaki en grosse laine, un matelas habité par ...des bêtes, une table de chevet métallique échappée d'un hôpital, assortie d'une chaise de même origine, le tout à la peinture bien écaillée; ceci distribué dans une pièce de neuf mètres carrés et sécurisé par une porte en bois dépourvue de tout système de fermeture sauf d'un bot de ficelle assurant un vague coincement.
C'était sous le règne de Boumédiène et une chambre était occupée à l'année par l'ex journaliste-repporteur officiel de Ben Bella, qui était assigné à résidence depuis la disgrâce de son patron trois ans auparavant. Il trouvait les journées longues car il avait son poste de radio comme seule distraction, le premier émetteur de télé se trouvait à quatre-cents kilomètres au nord. A condition qu'il ait des piles, piles qu'il préservait le soir pendant les quatre heures où le groupe du bled balançait un peu d'électricité, il pouvait écouter la radio d'état dont les programmes étaient d'une indigence notoire.
Il y eut également des évènements moins drôles un chauffeur emmène des manœuvres à El Abioth d’où ils pourront se rendre chez eux avec une liaison. Deux sont dans la cabine avec le chauffeur et trois dans la benne. En route le chauffeur se met à la poursuite d’une gazelle (ce qui est formellement interdit car ça déglingue les camions) là personne pour le voir.
Sur une belle bosse le camion se renverse et fait un tonneau. Résultat trois morts, les gars à l’arrière se sont fait écraser par les porte-patchs (armature métallique supportant les sismos).
Un topo part seul pour étudier un nouveau site. Il est seul car n’a pas l’intention de faire de relevé. C’est l’été, Il se paume. Il était parti pour la journée donc pas d’inquiétude avant le lendemain soir. Le troisième jour les secours sont déclenchés. Un avion repère le camion à dix kilomètres de sa zone d’étude mais pas de présence à proximité.
Dans le grand erg il y a presque toujours du vent donc pas de traces à repérer. Une équipe motorisée se rend sur place et découvre le topo mort de soif à cinq kilomètres du camion. Apparemment il se dirigeait complètement à l’opposé du camp.
Le radiateur du camion était plein d’eau (faut savoir qu’il n’y a pas d’antigel) certes peu ragoûtante mais quatorze litres. Il restait à proximité du camion, à partir du troisième jour faisait brûler un pneu pour aider les recherches et il aurait été sauvé.
Pour revenir sur cette chasse à la gazelle, les gars du sud l’ont dans les gênes et c’est indicible.Je me souviens d’une fois où Hassan me conduisait à Messaoud pour prendre l’avion. C’est la nuit, sur la piste traverse un troupeau de gazelles. Aussitôt mon Hassan de braquer pour suivre une des bêtes. Je lui crie d’arrêter, puis lui hurle d’arrêter, cause toujours. On est à près de quatre-vingt km/h dans les touffes et je suis totalement occupé à ne pas me fracasser le crâne au plafond et ne pas voltiger à travers la cabine. Il percute la bête et enfin stoppe. Dans la lumière des phares la gazelle est sérieusement amochée mais toujours vivante. Il cherche son couteau, ne le trouve pas, me demande si j’en ai un, non je n’en ai pas. Il faut que la gazelle soit saignée avant de mourir c’est la tradition. Je bous. « Tête de con qu’est-ce que tu vas faire de ta gazelle maintenant ? » Il baisse la tête, honteux non pas d’avoir poursuivi cette bête mais d’avoir oublié son couteau. Les yeux de la gazelle se voilent et à mon grand soulagement elle passe.
Lui ne la mangera pas et moi je ne vais pas l’emmener dans l’avion. Elle reste là dans le sable, morte pour rien. Je fais la leçon à Hassan tout le reste du trajet tout en sachant que je ferai aussi bien de pisser dans un violon.
Mon ami Hassan, je dis mon ami parce qu’il était au-dessus de la moyenne, avec une bonne culture générale, honnête autant qu’on pouvait l’espérer, souriant, poli, coquet, réservé, beau et homo. A cette période de ma vie je n’étais pas vilain, et il s’était naturellement proposé à mon transport exclusif. Comme c’était un excellent chauffeur de dunes je n’y voyais aucune objection et très vite je lui ai fait comprendre que ce n’était pas ma tasse de thé. Cela ne l’a pas contrarié et nous eûmes toujours de cordiales relations.
Il faut dire que je distribuais les heures supplémentaires avec une certaine générosité et les gars n’hésitaient pas à être volontaires quand on en avait besoin pour un boulot particulier.
Tous les locaux n’étaient pas exempts de reproches. Une fois que nous étions à proximité d’un bled, en plus des corbeaux (des vrais), des ânes avaient élu domicile à côté du dépôt d’ordures. Un matin, à l’occasion d’un pipi bien mérité, j’aperçois un manœuvre en train de pratiquer sa petite affaire avec une ânesse. Bon ! On connaît les légionnaires avec leur canard, ou leur chèvre mais une ânesse le gars n’avait pas froid aux yeux. Il était éjecté du camp le jour même.
Lakdar le chef d’équipe, possédait trois femmes et il était là dans cette mission pour gagner de quoi acheter sa quatrième. Je l’avais interrogé pour savoir comment ça se passait entre ses chéries, s’il n’y avait pas trop de bagarres. Il me répondît qu’étant chacune dans une maison indépendante, elles ne se côtoyaient pas, donc pas de problème.
Au camp il avait fait engager un jeune neveu qui lui servait d’épouse temporaire. Ce jeune giton était d’une beauté à couper le souffle et plus d’un prospecteur, au bout de deux mois de mission se demandait si ce n’était pas Lakdar qui était dans le vrai.
Fut un temps, Il y avait des vols directs Messaoud-Paris, alors si nous n’étions pas trop éloignés, pour les détentes ça évitait la remontée sur Alger toujours pénible.Préalablement, une fois la date de départ fixée, la base d'Alger devait nous faire parvenir un quitus (comme quoi nous étions bien à jour du paiement de nos impôts envers l’état algérien), sans quoi pas d’embarquement possible. Si les départs d’Alger étaient en général sans problèmes, de Messaoud où le FLN était très présent c’était plus compliqué.
Les militaires-policiers-gabelous étaient très susceptibles et fiers de leur pouvoir de discriminer.
Si dans la file attendant le contrôle des papiers un gars râlait à cause de la lenteur, ils le laissaient arriver jusqu’à eux pour le réexpédier illico à la fin de la queue.
Or l’été à Messaoud si l’air est trop chaud la caravelle ne décolle pas. Soit le commandant décidait de partir avant l’heure selon sa charge pour ne pas rester bloquer au sol, soit plus rarement, il attendait le lendemain matin à la fraîcheur toute relative pour décoller, mais ça soulevait d’autres problèmes. Donc profil bas, bien poli, humble mais sans être servile tout de même.
Nous passâmes l’hiver toujours dans les dunes, en camp secondaire. Le matin au lever du soleil les dunes scintillaient de givre déposé dans la nuit (-10°C) et c'était magnifique. Le givre disparaissait avec la montée du soleil et à midi il faisait 30°C. Avec le vent, l’air sec c’était aussi agréable qu’à la plage.
J’ai subi plusieurs tempêtes de sable dont une particulièrement longue et violente. Elle avait commencé vers midi et comme deux heures après elle continuait de monter crescendo nous ne pouvions plus travailler non pas à cause de la visibilité qui était nulle mais à cause du bruit qui conchiait le signal. J’ordonne le retour au camp et c’est Lakdar (le chef d'équipe) qui se met dans le camion de tête pour guider le circus.
On était à plus d’une heure du camp, la visibilité ne dépassait pas vingt mètres. On devait coller au cul du camion qui nous précédait et Lakdar slalomant à travers les dunes nous a ramené pile au camp. Je n’ai jamais compris comment il avait pu faire sans visibilité et sans repère aucun. Après cette tempête des dunes avaient été chamboulées, la Gazelle (Berliet qui pouvait rouler au pétrole brut, à l’huile de table même au beurre !) était en panne et une grosse panne. Cette gazelle assurait la livraison de l’eau pour les manœuvres et sans eau on pouvait arrêter le chantier.
On a commencé à rationner l’eau, plus question de se laver sauf les dents, puis plus les dents. En temps normal un des nôtres (prospecteur) retournait un jour par semaine au camp principal pour se laver, se changer et bricoler. Cette fois-ci, priorité à l’eau qu’un chauffeur volontaire allait chercher au camp principal tous les deux jours dans son Dodge (400Litres plus de la bouffe) après sa journée de labeur. Six heures de dunes aller-retour dont une bonne partie dans la nuit; et les dunes la nuit, avec la seule lueur des phares,c’est pas le pied. D’office je lui doublais ses heures sup.
Un mois sans se laver, ni se changer. Le deuxième jour après l’approvisionnement, les manœuvres buvaient le fond de la vache qui était aussi épais que du sirop d’érable avec une franche couleur marron foncé et une odeur de cadavre avancé.
Je fus dans les premiers à retourner au camp principal pour…me doucher puis brûler mes fringues qui n’en avaientt plus l’apparence.
Autant j’ai détesté la mentalité d’Alger en général, autant j’ai admiré ces gars du sud qui étaient fiers à juste titre et travailleurs acharnés tout en donnant du temps au temps. Nos relations étaient cordiales et même amicales pour certaines. J'eus plusieurs invitations chez l'un ou l'autre à l'occasion d'une remontée vers le nord.
Ceci n'est pas forcément vrai pour les manoeuvres embauchés près des oasis où régnait le FLN, supposé défendre le droit des travailleurs. Une fois, ils nous ont imposé l'installation d'humidificateurs dans les tentes des manoeuvres (eux qui vivaient sans le reste de l'année), le lendemain la moitié était malade avec toux et fièvre. Les humidificateurs sont restés...mais éteints !
Un matin mon pote La Fraise me quittait pour la Turquie, je finissais la mission et partais en détente. De mon côté au moment de retourner au boulot, j’étais également expédié au Kurdistan. Ce qui me convenait particulièrement bien puisqu’on était de vrais potes.
Mais ça c’est une autre histoire...
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