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On se trouve, on se quitte puis on se retrouve...
Contrairement à ce que la finalité de ce site Web laisserait supposer, ce n'est ni une histoire de puissance mécanique ni une histoire de construction navale, mais tout bêtement la construction du couple mâle/femelle, telle qu'on l'entend depuis l'origine des temps. J'avoue que je suis resté terriblement rétro et je présente mes sincères excuses aux LGBT et IeL qui me liraient.
Fin 1962, je venais d'avoir 17 ans, toutes mes dents (30 dedans et 2 dehors).
J'étais l'heureux possesseur d'une mobylette Motobécane, d'un boulot, enfin presque... puisque j'avais la qualification d'OS2 (ouvrier spécialisé échelon 2). En dessous c'était OS 1 et en dessous, et bien il n'y avait rien ! J'étais monteur câbleur dans une boîte de radio transmission et ça n'avait rien de bien passionnant.
À l'approche des vacances, un collègue me demande ce que j'avais de prévu, pour moi c'était le néant donc j'écoutais sa proposition avec un certain intérêt.
Je vais chez ma sœur en Auvergne me dit-il, si tu veux venir on pourra te loger et tu verras que le coin est sympa.
Nous nous retrouvâmes un soir de fin juillet au bar du buffet de la Gare de Lyon, mon copain, sa mère et moi. En effet elle souhaitait profiter de l'escapade pour passer quelques jours chez sa fille. La mère de mon copain, déjà bien âgée, me fit une impression mitigée ; en effet, la pauvre avait un œil qui regardait le plafond alors que l'autre cherchait désespérément le parquet, ce qui fait que lorsqu'elle vous fixait on avait l'impression d'être toisé de haut en bas et lycée de versailles ce qui mettait son interlocuteur mal à l'aise. De plus, quand un œil s'était enfin fixé sur sa cible il donnait l'impression de vous transpercer pour explorer le flou lointain.
J'eus l'explication de ce regard incertain lorsque nous commandâmes des boissons : deux pressions pour mon pote et moi, et une côtes-du-Rhône pour sa mère, qui, de commenter « une bonne côte c'est ce qui me réussit le mieux quand je voyage !». Comme de plus, elle possédait la gouaille et le parler du titi parisien, le tableau était tout à fait singulier. Je peux constater que la côte-du-Rhône était son remède de référence car avant que nous eûmes terminé nos verres elle, en était à sa troisième giclée.
Donc les mobylettes dans le fourgon du train, le trajet Paris Ambert s'effectua dans un certain temps, départ à 23h30 Gare de Lyon, arrivée à Vichy à 5h15 un quart d'heure d'attente et le trajet Vichy Ambert (90 Kms) en 2h30. Comme quoi on n'était pas trop pressés à l'époque. Les mobylettes n'arriveraient que le lendemain car il n'y avait pas de place dans la Micheline pour ce genre de marchandises. Le nombre incalculable de gares entre Vichy et Ambert donnait l'impression d'un interminable trajet. Cerise sur le gâteau, ma voisine de banquette, fumait des "week-end" avec un entrain de locomotive à vapeur et cette odeur de fumée mielleuse me donnait des haut-le-cœur
Lorsque nous débarquâmes enfin sur la place de la gare, je me précipitai au bistro d'en face pour boire une tisane afin de me débarbouiller la tubulure. Je commandai une verveine et me retrouvai avec un verre de verte liqueur devant les yeux. N'osant récriminer je l'avalai cul-sec, réprimant les borborygmes consécutifs à ce régime improbable. Après cinq minutes de marche, présentation à mes hôtes; René, le père, de son état marchand de cycles, Lulu, la mère qui fait tourner la maisonnée et Jacky, le fils, âgé présentement de six ans. Lulu, femme énergique, me mit aussitôt à l'aise en déclarant qu'elle prendrait XX francs pour ma pension, somme qui, à l'époque, me parût dérisoire compte tenu de l'excellence de la table à venir. Il faut savoir que l'Auvergnat, si il a la fausse réputation de lésiner, cela ne sera jamais au détriment de la nourriture
Maintenant que le décor est planté, foin du passé simple, composé, antérieur, il est temps de revenir au présent.
Petit aparté pour signaler qu'à cette époque bénie, il n'y avait pas de Marlène Chiappa pour venir accuser les participants à cette saynète, de harcèlement sexuel ou autre acte déshonorant. On pouvait sourire à une fille sans qu'elle aille illico porter plainte à la gendarmerie ou au commissariat local, on pouvait même l'interpeller poliment pour lui faire un compliment ou lui demander son prénom sans risquer la prison à vie.
Cette jolie fille, qui s'appelle Annie et porte à merveille ses 15 printemps, vient dans l'après-midi toquer à l'huis de mes hôtes. Elle vient chercher Jacky comme elle en a l'habitude pour l'emmener se baigner au "bain des dames"qui, comme son nom l'indique, doit permettre aux dames de se baigner sans s'y noyer. Avant qu'elle ne parte, nouveaux regards tellement intenses que je crains un embrasement de mon slip.
Mon pote, avec un sourire en coin, me dit « on pourrait aller les rejoindre ». Pas besoin d'attendre la réponse je suis déjà au pied de l'escalier.
Nous partîmes deux mais par un prompt renfort nous nous vîmes quatre en arrivant au port. En fait de port c'est la Dore, rivière locale qui coule là, adossée à une grande prairie. Les autochtones s'y pressent mélangés aux vacanciers. Il faut dire que la rive n'est pas très praticable et seule une bande bien dégagée, d'une cinquantaine de mètres permet un accès aisé à la partie profonde de cette rivière. Quand je dis profonde il ne faut pas exagérer en fait il y a, au plus, 60 à 70 cm d'eau.
Tandis que mon copain s'étale au soleil, Annie et Jacky vont patauger et je les rejoins. Au bout de quelques instants le Jacky va rejoindre mon pote (son oncle) tandis qu'avec Annie on se regarde, je souris niaisement, elle fait de même et nous commençons une conversation dénuée de tout intérêt.
Nous sommes assis là avec de l'eau jusqu'au nombril, les bras en arrière pour ne pas culbuter cul par-dessus tête. Tout doucement je me rapproche d'elle comme un crabe anémié et finalement ma main gauche entre en contact avec sa main droite ! Éclair, tonnerre, c'est la foudre. Nous sommes aussi statufiés que la femme de loth .
Au bout d'un instant ou d'une éternité je ne sais plus, Annie dit « il faut rejoindre les autres. » Je lui dis que j'arrive, ce qui est partiellement vrai, car je ne peux décemment sortir de l'eau à la vue de tous, tant qu'une certaine bosse ne s'est pas résorbée.
Le soir même je l'invite au cinéma où l'on joue "Jerry matelot". Comme je l'ai déjà vu, cela me permet de m'occuper beaucoup plus agréablement qu'à visionner ce navet. À la fin de la séance j'ai acquis une connaissance approfondie de ses canines, incisives, molaires, prémolaires et de sa ravissante et agile langounette.
À partir de cet instant c'est une vraie passion qui nous dévore un peu plus chaque heure. Les matins sont un vrai supplice car nous ne pouvons pas nous retrouver, mais les après-midi nous passons de longues heures à l'abri des regards à nous embrasser, nous caresser, encore embrasser et encore, et encore et toujours.
les voyeurs, les détraqués du sexe et autres tarés, sachez que nous ne commettons pas l'irréparable; expression antinomique s'il en est, puisque dans tous les bons vaudevilles on demande à l'auteur du méfait de réparer; ce qu'il fait, il répare l'irréparable… ça pique un peu, non ?
Mon pote Michel, (tiens ! Je m'aperçois que que je ne l'avais pas encore nommé), trouve que j'en fais un peu trop. Lui qui pensait que nous allions faire des virées en mob est un peu déçu mais il a des connaissances dans la région et devra s'en accommoder. Je décide d'inviter ma belle au restaurant le dimanche suivant. Elle me transmet la réponse de son père qui préfère bizarrement que je vienne plutôt déjeuner avec eux, en famille. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me présente le dimanche midi avec un gros bouquet de roses pour la maman, et fais ainsi connaissance avec ceux qui allaient devenir, bien plus tard, ma jolie-maman et mon joli-papa.Avec les roses j'avais tapé dans le mille. Côté jolie-maman c'était dans la poche, côté joli-papa, par contre c'était pas gagné. Ce brave homme rêvait pour sa fifille d'un parti orienté boyau, guidoline et dérailleur 12 vitesses, ce qui n'était pas vraiment mon cas; bien que coureur moi aussi, il me manquait l'appareillage avec les roues et les rayons. Malgré tout, s'il exprimât ses regrets auprès de son épouse il ne m'en fit jamais grief.
À force d'à force, vient la fin du mois d'août et par la même, la fin des congés.
Fatalitas !
Il va falloir nous séparer.
C'est comme une déchirure, une amputation, un vide absolu, on voudrait que le temps s'arrête, se fige, que les horloges disparaissent ce que bien sûr elles ne font pas. Le retour est lugubre, mes pieds pèsent des tonnes, je suis dévasté. On s'est promis de s'écrire tous les jours, mais écrire ne compense pas l'absence de l'être cher.
Pour les moins de 50 ans, il faut savoir qu'en ce temps-là, la communication s'effectuait principalement par courrier. Il y avait également le téléphone, mais c'était un moyen cher et tout le monde n'avait pas le téléphone tout simplement. Donc on écrivait sur du papier blanc, parme, bleu, vert ou autre couleur avec les enveloppes assorties. On tentait de rédiger en bon français avec, si possible, un minimum de fautes d'orthographe, puisque l'écriture est la carte d'identité de l'auteur.
En disant cela, je ne voudrais pas me poser en censeur ou vouer aux gémonies les rédacteurs « fauteurs », certains ont reçu une éducation « standard » et en auront retenu ce qu'ils auront bien voulu, et d'autres accablés par les vicissitudes de la vie seront sortis du cycle normal scolaire bien avant l'heure.
J'ai encore en mémoire des lettres de ma grand-mère maternelle qui n'avait même pas son certificat d'études, car à l'âge de 10 ans elle gardait les oies et les vaches, mais ses lettres étaient pleines d'application, on voyait les hésitations, elle possédait le vocabulaire de base mais dès qu'elle voulait employer un terme qu'elle avait entendu souvent mais dont elle ne connaissait pas l'orthographe on voyait les blancs de la plume sur le mot précédent et même des fois un embryon d'écriture vite barré et elle mettait ce qui lui paraissait le plus sensé.
Le plus dur évidemment, c'était les conjugaisons. Malgré tout sa prose était tout à fait compréhensible et pleine de sensibilité. Ceci explique peut-être ma haine des SMS là où les possesseurs de doigts souples s'échinent à tenter d'éradiquer la langue française
Et on s'est écrit tous les jours et même deux fois par jour. Des lettres de trois, quatre, cinq et même six pages ! Ça venait tout seul, l'encre pissait du stylo qui courait sur le papier comme mû par une vie propre. Bon, ça n'était pas du Guillaume Apollinaire avec ses lettres à Lou, mais nous aussi on disait je t'aime, je t'aime, je t'aime. Et ça, c'était le principal.
Un petit mot en passant, sur le courrier, qui à cette époque fonctionnait du feu de Dieu. Je rentrais du boulot pour déjeuner à la maison tous les midis, et surtout pour récupérer MA lettre, que je dévorais dans l'instant, avant de dévorer mon repas et de relire, et relire, la lettre salvatrice. Cette prose c'était mon oxygène, ma bouée de sauvetage. Avant de savoir si elle était bien arrivée, j'étais comme tétanisé, frappé d'interdit et à la seule vue de l'enveloppe espérée j'étais comme libéré, fébrile, incontrôlable jusqu'à ce que son contenu m'eut enfin rassasié.
Arrive le 1er novembre 1962, c'est un jeudi donc un week-end de quatre jours. C'est décidé, je descends à Ambert !
Re...voyage interminable,re... arrivée pâteuse et retrouvailles.
Il faut dire que l'ambiance est un peu différente, j'ai perdu mon joli bronzage d'été, ce qui a eu pour effet d'engendrer une poussée d'acné du plus bel effet. J'en suis conscient et ça me stresse. Annie, elle, ne me dit rien à ce sujet et j'en suis gêné pour elle.
La maison n'est pas bien grande, au rez-de-chaussée, la cuisine, une mini salle de bain/douche, un mini WC, je dis mini parce que mes genoux touchent la porte quand elle est fermée, le WC lui-même est constitué d'un banc en bois dans lequel est encastrée une cuvette en céramique hermétisée par une pinoche cerclée de caoutchouc. La première fois, ce système m'interpelle, car il n'y a pas de chasse d'eau. Ce qu'on jette dans la cuvette, quelle que soit la façon dont on procède, tombe directement dans l'égout ce qui explique la fermeture hermétique. Il y a un autre truc dérangeant, c'est que la porte des toilettes étant dans la cuisine, l'insonorisation est très moyenne ce qui, pour moi, est une autre source de stress.
Bien ! Montons au premier.
Là, le palier dessert deux chambres, l'une à travers l'autre. Donc il faut passer par la chambre des parents pour accéder à la chambre de la fille (futé le futur joli-papa). Au-dessus un grenier et voilà la visite terminée. Comme ce n'est pas la maison de Madame Claude je suis relégué au rez-de-chaussée sur un petit divan, coincé entre la table de la salle à manger et le mur.
J'ai assez peu de souvenirs de ces quatre jours, je me sens frustré car bien qu'étant dans la place, je ne puis l'embrasser comme je le désire et les soirées se passent à lui tenir la main devant la télé (en noir et blanc évidemment).
Et bien puisqu'il faut rentrer, retournons vers la capitale. Le courrier reprend son rythme pendant une semaine, deux semaines et puis brutalement plus rien. Le lendemain, le surlendemain, courrier néant. Moi, toujours sur mon nuage rose je continue d'écrire mais, au bout d'une semaine, je ne peux que constater mon désastre personnel.
Au boulot tout le monde est au courant de ma mésaventure bien sûr, certains compatissent, d'autres y vont de leur grain de sel ou même de remarques acerbes. Mon copain Michel me remonte le moral en me disant « une de perdue, dix de retrouvées ». Comme quoi ça vole bas !
J'apprendrai, quelques années plus tard, que ma chère maman ayant lu une lettre d'Annie, avait trouvé ses envolées épistolaires plus proches de Satan que des lettres de Madame de Sévigné. N'écoutant que son courage, ma chère mère avait écrit à la mère d'Annie pour lui faire part de ses inquiétudes quant à l'intensité de notre relation ; une gamine d'à peine 15 ans et un gamin de 17 ans, c'était trop jeune pour faire des bêtises (comme on disait à l'époque). Il faut dire qu'en même temps Annie avait trouvé quelqu'un de certainement moins boutonneux et surtout disponible sur place… un coureur, le gars qui reçoit les bouquets de fleurs quand il gagne et c'est Annie qui remet les bouquets, qui fait la bise au vainqueur et joli-papa à la manoeuvre.
Chacun sa route, chacun son chemin, le temps efface les cicatrices dit-on, et c'est vrai, mais dans le coin en haut et à gauche du cerveau il y a un certain portrait rémanent. Trois ans plus tard, je pars à l'armée. Je ne vais pas retracer ce qui a déjà été relaté dans le chapitre « soldat militaire » mais le ressenti est là, le temps est long, on s'ennuie, la nostalgie rôde aux alentours.
Jours de spleen, je prends ma plus belle plume Bic et j'envoie un genre d'appel au secours à deux ou trois connaissances.
Je reçois deux lettres en retour.
L'une d'elles est d'Annie… Je réponds rapidement mais le ton est loin des déclarations enflammées de la Belle Époque.
Je lui ai fait part de mes aspirations, de mon désir de naviguer, de faire le tour du monde en voilier, j'ai avec moi un appelé breton, bretonnant, avec qui nous passons notre temps libre à dessiner des coques faire des aménagements, des listes de matériel indispensable, en fait nous préparons le grand voyage… qui n'aura jamais lieu, sauf que... rêver c'est déjà s'évader.
Avec Annie nous échangeons quelques lettres mais cela relève plus de la correspondance amicale qu'un feu en redevenir.
Les meilleures choses ayant une fin, je suis enfin transformé, de guerrier, en civil.
Mes parents ayant migré en Dordogne, je reste à Paris dans un studio sordide, sombre à souhait pour un neurasthénique et pas de boulot.
Heureusement cette situation évolue rapidement car jeune et de nouveau beau (sans les touches de la calculette) je trouve un boulot en outre-mer (voir la rubrique Sahara). À mes premiers congés, après une rapide visite à mes parents en Dordogne, rendez-vous a été pris avec Annie pour se retrouver à Thiers.
Je pense que je vais faire bonne impression car j'ai été totalement relooké par copain d'armée, gai, avec des goûts vestimentaires très flashys. Je rutile comme une pompe à essence fraîchement repeinte.
Chemise jaune d'or, cravate peinte à la main avec des tons variés, pantalon gris anthracite, veste en laine peignée couleur feuille morte, mocassins en daim et chaussettes assorties.
Si Annie ne fait aucun commentaire, sa copine, qui doit nous ramener de Vichy, est soufflée. En fait elle connaît la mode à Ambert mais ne peut imaginer l'extravagance des boutiques du marais.
Je dois passer seulement 24 heures à Thiers car je rentre en Algérie le lendemain. C'est donc une soirée de retrouvailles qui se joue à guichet fermé puisque c'est dans une chambre sans fenêtre que nous terminons la soirée.
Nous sommes maintenant adultes et consentants et je pense que la conclusion ou l'acte final de ce que nous avons vécu jusqu'à maintenant ne sera qu'une simple formalité… que nenni, embrassades, papouilles, caresses, mais pour le dessert c'est un non définitif, no, nein, niet! Elle ne baisse pas pavillon la drôlesse!
Grosse déception, même si je n'en laisse rien paraître. Dans l'avion du retour, je cogite, je rumine, je lui trouve des excuses que j'écarte aussitôt et j'en arrive à la conclusion que le mieux est de mettre un terme à cette tentative de réconciliation. Je lui ferai part de cette décision dans un courrier que j'expédierai du terrain.
On dit que la nuit porte conseil, c'est dire si au bout de quelques jours j'étais parfaitement déterminé…
... à poursuivre l'aventure!
Il faut dire qu'au Sahara, entre deux interventions sur le terrain, j'avais suffisamment de temps pour travailler du chapeau. J'ai donc rembobiné le film, tout déroulé, trié et recollé les morceaux à la bonne place, ce qui m'a permis d'arriver à la conclusion que j'étais vrai con, incapable de comprendre les choses sur le coup.
Lors du congé suivant, je fais l'impasse sur la visite aux parents et je loue une voiture à Paris pour aller voir Annie qui, entre-temps, était retournée travailler à Ambert. Cette fois-ci, il est hors de question que je retourne me ratatiner dans le petit divan, je couche donc à l'hôtel. Annie, qui travaille au trésor public vient visiter mon installation en fin d'après-midi et nous redescendons ensemble un peu plus tard poursuivis par le regard scandalisé de la patronne qui s'empressera de rapporter cela à son père.
Ben oui ! C'est une petite ville, et tout se sait. Il y a ceux qui sont mariés et les scélérats dont apparemment nous faisons partie. Pour couper court à tous les ragots et aussi pouvoir s'isoler des gens connus, partons passer le week-end à Clermont-Ferrand.
Là, après un très bon dîner arrosé de pommard, nous nous réfugions dans un hôtel de standing pour passer la nuit.
Annie s'absente pour les ablutions du soir et un petit pipi.
En tirant la chasse, patatras ! C'est tout l'hôtel qui se met à vibrer avec certaines variations dans la mélodie, en fonction du taux de remplissage du réservoir du WC. Pour la discrétion on repassera !
C'est mon tour, comme le pipi ça ne se commande pas je déclenche le tonnerre à mon tour. Gros émoi dans la maisonnée ! À la fin du ramdam on toque à la porte, c'est le maître d'hôtel qui demande si ça vient de chez nous (ce qu'il doit savoir à coup sûr puisque c'est son hôtel et qu'il est forcément au fait de la vétusté de sa tuyauterie). Pas du tout, lui répond-je avec une certaine couardise. Fin du vaudeville.
La suite étant ornée d'un carré blanc nous nous retrouverons le lendemain matin au petit déjeuner. Il semblerait que le ciel se soit à nouveau dégagé et que le soleil brille plein feux.
Deux semaines plus tard, voulant prendre une chambre pour l'après-midi dans un hôtel-restaurant à proximité d'Ambert, nous sommes chassés par l'hôtelier qui,drapé dans sa dignité, s'écrie : « Pas de ça chez nous, Monsieur, nous sommes une maison honnête. » Et ça, bien fort pour que tous les consommateurs qui assistent à cet échange puissent bien comprendre de quoi il retourne. C'est donc frappés du rouge de la honte que nous évacuons les lieux, pourchassés par le doigt vengeur de Dieu qui nous chasse de notre ex- futur Eden, comme il le fit avec Adam et Ève bien avant nous.
Je dois rentrer à Paris dans la nuit et pour faire la nique à notre frustration, nous allons nous isoler dans un champ à proximité. Toute action positive est naturellement contrebalancée par une action négative, ce que nous ne tarderons pas à vérifier. Au moment de repartir, je m'embourbe bien comme il faut dans la grasse terre arverne. Il est minuit, nous sommes à 2 km de la maison et nous rentrons à pied Grosjean comme devant.
Annie me dit : « tu viens dans ma chambre ! ». Arrivé en haut de l'escalier il faut traverser la chambre des parents, ce qui ne manque pas de les réveiller. Ahurissement d'iceux à qui, Annie explique que la voiture est embourbée et qu'il faut bien que je couche quelque part. Jolie-maman voudrait dire quelque chose mais comme elle connaît la vie elle ne pipe mot. Quant à joli-papa, il émet un soupir de résignation sachant qu'il vient de perdre définitivement sa fille.
Au petit matin, je pars à la recherche du propriétaire du champ de notr délit. Très sympa, il démarre son tracteur et me sort de ce mauvais pas sans grande difficulté. J'ai juste sept heures de retard et raté mon avion, mais comme on dit, plaie d'avion n'est pas mortelle.
Notre petit ballet s'installe, trois à quatre mois de travail non stop et trois semaines de détente (de congés). Si les mois sur le terrain sont parfois bien longs, la détente s'écoule à la vitesse grand V. C'est la belle vie, l'argent durement gagné pendant les périodes de terrain représente une coquette somme pour l'époque (12 000 € environ), somme que nous dilapidons en trois semaines avant que je reparte bosser pour recharger les compteurs. À cette époque un très bon dîner dans un restaurant gastronomique coûte environ 180 € pour deux, ce qui nous laisse de la marge.
C'est lors d'un congé et profitant que nous sommes seuls, que ma future jolie maman me demande ce que je veux faire avec sa fille. Bien qu'ayant une idée très nette de mon aspiration du moment, je retiens in-extremis les paroles que j'allais proférer car je suis un garçon bien élevé. Elle précise : « Est-ce que c'est sérieux entre vous ? Et que comptez-vous faire ? » Je comprends bien ce qu'elle veut dire et sur le coup je suis assez embarrassé. pour moi le mariage n'est qu'une simple formalité administrative accompagnée d'obligations pénibles et de tralala. On s'aime, on vit ensemble, que demander de plus ?
Je vois bien que pour elle la question est d'importance et, ce que je saurai par la suite, pour Annie également. Voilà un aspect du problème que je n'avais pas intégré. Je réponds que si elle le souhaite nous allons nous marier. Quand ? Dit-elle, car il y a les fiançailles auparavant! Je décroche le calendrier des postes, celui avec chien et chat, je prends un stylo, je ferme les yeux et j'abats ledit stylo sur une date, au hasard. Je demande à joli- maman si cette date lui convient, un peu interloquée elle acquiesce, tout en vérifiant que ça ne tombe pas le jour pour des morts. Ne reste plus qu'à organiser la fiesta, alerter ma famille et moi, je suis bon pour aller faire un tour chez un bijoutier parisien. Là, j'ai le choix entre la place Vendôme et le bazar à 100 Fr. je choisis donc un commerce intermédiaire, le fait de travailler dans le pétrole ne signifiant pas que l'on perçoive les revenus d'un émirat arabe. Ensuite, ce que j'appelle le tralala doit s'organiser dans la foulée. Il faut planifier la rencontre des deux familles, les parents d'Annie iront visiter les miens en Dordogne (petit voyage d'une bonne huitaine d'heures).
À cette occasion, je notai une légère déception dans le clan de ma belle-famille. J'avais en effet, par boutade, dit à ma chère et tendre que j'habitais avec mes parents dans un château, ce qui n'était pas totalement faux puisqu'à deux pas de la maison il y avait un château d'eau. La réalité était toute autre, au lieu d'épouser un hobereau, elle découvrait que le château était en fait la maison des trois petits cochons.
Mes parents n'étant plus tout jeunes, il fut décidé qu'il ne viendraient pas pour les fiançailles mais seulement pour le mariage. À la place, mon frère et ma belle-sœur étaient délégués aux fiançailles, afin que le tralala soit respecté. Quelques mois plus tard (avril 1970), c'était le grand jour. Les parents et beaux-parents étaient pour un mariage religieux et ne souhaitant pas que cela se déroula dans l'église d'Ambert, trop grande et qui serait certainement pleine de curieux, j'avais demandé à ce qu'on rouvrit une petite chapelle endormie depuis des années et situé à une dizaine de kilomètres d'Ambert.
Une brave tante se chargea de tout nettoyer et de préparer la chapelle pour nous. Le curé, que nous connaissions bien pour avoir partagés moult canons avec lui, régla rapidement toute la partie administrative.
A la mairie, durant la lecture des noms, prénoms et qualité pour mon père, il lit : « Valitchek Valentin né à Rostov-sur-le-Don le 31 juillet 1900, ex colonel des armées tsaristes », pouffments vite réprimés dans mon clan et étonnement ou admiration dans le reste de aréopage, car si mon père avait effectivement servi dans l'armée tsariste, à 17 ans il était un peu jeune pour être colonel.
Cette facétie faisait quand même plus chic et contrebalançait l'histoire du château.
Un jour, chez mes parents en Dordogne alors que nous couchions dans la vieille maison, je me levais tôt et Annie décidait de faire la grasse matinée. Pris d'une inspiration subite, je lui dis : « je vais t'enfermer à clé car il y a un asile de fous à proximité où plusieurs évasions se sont produites, ça sera plus sûr! Évidemment tout cela n'est qu'affabulation mais elle y croit dur comme fer. Sans plus y penser,je pars aider mon pèret dans le jardin de la nouvelle maison et à l'heure du déjeuner comme Annie n'est toujours pas arrivée, ma mère s'inquiète. J'avais complètement oublié que je l'avaist enfermée. Aussitôt je pars la délivrer et me fais remonter les bretelles par mes parents pour cette galéjade douteuse. Annie, quant à elle, était franchement anxieuse s'attendant à tout instant à voir surgir un zinzin coiffé d'un entonnoir.
Nous voici mariés, pleins d'allant, en route pour l'inconnu.
Un an plus tard, un bug dans la méthode Ogino, nous gratifiait d'un petit être braillard qui allait, ô combien, tout à la fois enchanter, accompagner, perturber et chambouler notre route .
C'est ainsi que cette histoire dure depuis 60 ans dont 52 atelés à la même carriole (en 2022). Si la plus grande partie s'est déroulée sur une autoroute bien bitumée, les dernières années empruntent une départementale pleine de nids-de-poule et d'ornières avec cependant des tronçons bien restaurés.
Question de l'intervieweur : « Et si c'était à refaire ? »
Réponse de l'interviewé : « Et bien je le referais !
Des regrets ? Non!
Peut-être quelques actions dont je ne suis pas particulièrement fier dont on mesure la portée seulement après coup. Mais on n'a pas de temps à perdre avec des regrets, cela bouffe l'avenir et comme celui-ci devient plus qu'étroit, mieux vaut consacrer ce reliquat temporel à des projets bien réels.
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